Par Corine Moriou
Femme de méninges, la comédienne Sylvie Testud signe son quatrième roman « Chevalier de l’ordre du mérite ». Elle pose un regard drôle et sans complaisance sur une femme d’aujourd’hui, carriériste, vivant en couple, et obsédée par … le ménage.
Sylvie Testud, la plus littéraire des comédiennes, nous donne rendez-vous au Brébant, un café branché sur les grands boulevards, à Paris. Elle s’installe sur une banquette, le dos au soleil, et répond à nos questions avec spontanéité tout en dégustant son orange pressée. Son roman n’est pas une autobiographie, mais il dénonce la course des femmes à la vie parfaite pour obtenir « la médaille ».
Voilà comment elle présente sa drôle de mégère :
Notre rencontre avec elle en 2011 :
Vous aimez ce quartier ?
J’habite près de la Bourse avec mon compagnon et mes deux enfants. Il y a des gens qui bossent, des galeries d’art, des librairies… J’aime cette diversité au coeur de Paris. Nous allons souvent déjeuner au Palais Royal. Cela permet à mon fils de faire du vélo, car comme tous les gamins, il déteste rester longtemps à table.
On vous a remis la médaille de l’Ordre du mérite, d’où le titre de votre dernier roman ?
Ma première idée était d’intituler ce livre « La Souillon », mais mon éditeur était réticent. Alors, nous avons retenu un titre qui rappelle que, même adulte, nous courons toujours après des bons points, des récompenses, une médaille. Sybille, mon personnage principal, est programmée dès son enfance pour réussir. Elle met toute son énergie dans son métier de Directrice de la communication d’une société d’assurances d’animaux de compagnie. Lorsqu’elle rentre chez elle, elle traque la poussière, la chaussette sale sous le nez de son compagnon blasé. Il finit par lui conseiller d’engager une femme de ménage.
Et, là encore, votre héroïne veut trop bien faire ?
Oui, c’est une perfectionniste dans tous les domaines. Elle embauche une Philippine qui n’a pas de papiers et elle décide de lui en procurer. Cette démarche, supposée généreuse, lui crée de gros problèmes. Finalement Fao, sa femme de ménage, l’abandonnera. Sybille se fait avorter lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte.
Pourquoi ?
Elle vient d’accéder à de nouvelles responsabilités professionnelles. Ce n’est pas le bon moment. Alors pour contourner le regard désapprobateur de sa gynécologue, elle s’invente un amant ! Une situation de plus où la femme est jugée alors qu’il s’agit de sa vie, de son destin.
Dans votre livre, vous dénoncez les vies formatées imposées aux femmes. Avons-nous fait marche arrière ?
Je ne suis pas féministe, mais il me semble que dans les années 1980 la vie était plus douce. Aujourd’hui, on demande à une femme d’être jolie, de mener une carrière et d’avoir des enfants. A 40 ans, cette femme est sur les genoux. Il faut lâcher prise, ne pas vouloir tout maîtriser. La course à la médaille est illusoire. Ce n’est pas la garantie d’une vie réussie et heureuse.
Adrien, son compagnon, n’est pas dépeint de manière très sympathique dans votre livre. Qu’avez-vous voulu dire ?
Adrien est un intellectuel que Sybille retrouve le soir affalé sur le canapé, lisant des bouquins engagés. Comme bien des hommes, il se décharge de tous les problèmes matériels sur sa femme. Il vote à gauche, mais il se désintéresse totalement des gens, en l’occurrence de la situation de Fao. En revanche, il est comme un poisson dans l’eau à l’Ile Maurice alors qu’il ne voulait pas y mettre les pieds.
Que pensez-vous des hommes d’aujourd’hui ?
Les hommes se concentrent sur le business, le sport, les plaisirs intellectuels. Mais ils commencent à avoir les mêmes angoisses que les femmes. Vont-ils pouvoir continuer à plaire s’ils ont des poignées d’amour, des cernes sous les yeux ? Ils sont devenus soucieux de leur apparence physique.
Etes-vous contre le mariage ?
Le mariage serait le meilleur moyen de me faire fuir. Mais je participe joyeusement au mariage de mes amis, lorsque je suis invitée.
Votre vie est nettement plus facile que celle de beaucoup de femmes ?
Bien sûr, je suis privilégiée, car je me fais aider à la maison. Pour mon fils Ruben, j’ai fait un super casting afin de choisir la bonne nounou. Mais j’aime faire le ménage !
Dans vos films, vous vous faites remarquer en jouant des rôles difficiles. Vous aimez les challenges ?
J’avais trois mois pour apprendre mes répliques en japonais. C’était le souhait d’Alain Corneau pour le tournage de Stupeurs et tremblements. Mais un jour, je l’ai appelé. Je n’en pouvais plus, je voulais abandonner. Finalement, je me suis accrochée et le film a très bien marché.
Et pour Sagan ? Vous vous êtes transformée en femme caméléon ?
J’ai regardé tous les documentaires sur Sagan pour m’imprégner de son personnage. Et petit à petit, je me suis glissée dans sa peau. C’est mon côté « bonne élève », j’aime bien faire les choses. Je n’ai jamais été une rebelle.
Etre actrice, ce n’est pas désobéir ?
Non, c’est se tromper soi-même. On fricote avec quelqu’un d’autre. On endosse un autre rôle que celui que l’on a habituellement dans la vie. Dans le métier d’acteur et d’écrivain, c’est ce qui me plaît : pouvoir être une autre.
Vous allez réaliser votre premier film. Racontez-nous cette nouvelle expérience.
Lorsque les producteurs qui possédaient les droits du roman de Frédérique Deghelt « La vie d’une autre » m’ont demandée de l’adapter, j’ai répondu « pourquoi pas ! ». J’aime relever des défis. C’est l’histoire d’une femme qui tombe éperdument amoureuse d’un homme avec lequel elle passe une nuit. Quand elle se réveille le lendemain, elle se rend compte qu’elle a vécu douze ans à ses côtés, mais elle ne se souvient de rien. Elle part à la recherche de ces années oubliées.
Juliette Binoche vous a suivie dans cette aventure ?
Au fur et à mesure que j’écrivais le scénario, son visage s’imposait avec évidence. Elle a répondu positivement ainsi que Mathieu Kassovitz qui lui donne la réplique. J’ai beaucoup de chance. Nous avons démarré le tournage en France, en Belgique et au Luxembourg avec un budget de 5 millions d’euros. Maintenant il ne faut pas que je « me » rate !
Voilà la bande d’annonce du film :
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