Bienheureux qui comme le marcheur voit ses angoisses apaisées… Car ce geste inné, simplissime à accomplir, augmente notre capital santé de façon inattendue. Excellente pour le cœur mais aussi pour l’esprit, la marche est l’activité à ne jamais délaisser !
Pourquoi marcher permet de rester en bonne santé ?
Pour comprendre la portée de cet acte que “tout le monde sait faire”, nous avons eu la chance de nous entretenir avec un professeur de philosophie : Frédéric Gros, auteur du livre “Marcher, une philosophie”. Les grands hommes et les simples sentiments s’y côtoient : une vision juste et significative.
Pourquoi consacrez-vous un livre à la marche après avoir écrit sur des sujets lourds comme la psychiatrie et la guerre ?
Mes premiers livres abordent en effet des thématiques sombres comme la folie, la violence, le châtiment. Je ressentais sans doute le besoin, après avoir traité de sujets relativement angoissants, de marquer une pause et de m’attacher à des descriptions plus apaisantes, d’autant que c’est l’expérience personnelle de la marche qui me permettait de prendre un peu de distance par rapport à mes sujets. Ce livre, j’ignore encore s’il constitue une simple respiration ou bien une ouverture, mais c’est vrai qu’il fait très certainement rupture avec les précédents.
Au fil des pages, on sent que la marche a été une révélation pour vous…
J’avais découvert, pratiqué et aimé la randonnée à pied relativement jeune, puis je l’avais peu à peu délaissée, tenu par le sentiment stupide que j’avais mieux à faire. Depuis bientôt dix ans, j’y suis revenu avec un plaisir inouï. Il est vrai qu’on ne peut goûter dans toute leur profondeur les joies de la simplicité et de la solitude qu’en ayant éprouvé les affres d’une vie saturée et continuellement sous pression. Mais c’est une initiation progressive et il ne faut surtout rien précipiter, ne pas vouloir aller ni trop loin, ni trop vite, ni trop longtemps, parce que la démesure là aussi se paye.
Cet acte anodin et primaire, dans un premier temps, se révèle d’une portée extrêmement profonde dans bien des cas : comment peut-on expliquer un tel écart ?
Le décalage est en effet énorme, dans le cas de la marche, entre son importance spirituelle, sa ressource métaphysique et sa désarmante facilité. Cela tient, je crois, à l’humilité de cette pratique : elle ne demande rien qui soit technique, elle n’est prisonnière d’aucune valorisation sociale particulière, mais par là elle permet de dépasser les masques, les faux-semblants, les aliénations innombrables, et de toucher plus vite à l’essentiel. Entre le paysage et moi, dans la marche, il n’y a plus rien qu’un rapport d’exposition absolue.
Nombre d’entre nous considèrent la marche comme un simple moyen de déplacement archaïque ou un « petit loisir du dimanche »… Il peut sembler paradoxal de valoriser la marche aujourd’hui, alors que l’homme civilisé a tout fait pour réduire le temps et l’espace. Je ne condamne pas la modernité technique en général, ce serait absurde de nier le progrès. Mais il demeure que, dans un monde saturé par les médiations, les connexions, les écrans, nous finissons par oublier ce que peut être la pure présence. Or la marche peut être comprise comme une apologie complète de la présence : marcher, c’est affirmer la présence.
De tous les marcheurs illustres abordés, lequel auriez-vous aimé être ?
Je me suis en effet laissé fasciner par tous ces grands marcheurs et j’ai tenté d’en faire des figures de légende : des héros de la marche. C’est peut-être Rimbaud qui m’a le plus touché, parce qu’il fait paraître une dimension de la marche comme ascèse, oubli de soi et tentation de la fuite permanente. Nerval découvre de son côté une mélancolie de la marche qui m’a renvoyé à mes propres souvenirs de promenades enfantines. Quant à Thoreau et Gandhi, ils explorent et exaltent une dimension politique de la marche : la marche comme résistance à la modernité, affirmation d’une dignité dans le dénuement, énergie de l’endurance.
A l’image de la relecture d’un classique littéraire, la marche engendre-t-elle un enseignement nouveau, à chaque âge ?
Chaque grande époque de la vie révèle une dimension de la marche. Mais il me semble, que pour qui a déjà beaucoup vécu, elle permet, au fil des chemins parcourus, de laisser remonter des souvenirs avec une grande sérénité. C’est comme si marcher permettait à chacun de se réconcilier avec son propre passé, parce que cet accueil du passé se fait depuis une certaine plénitude et douceur. La marche permet l’exploration des grandes dimensions du bien-être : le plaisir des découvertes, la joie d’aller de l’avant, le bonheur des rencontres, la plénitude de la présence, la sérénité enfin de n’être qu’un corps marchant, abandonné à la beauté du monde…
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