A 83 ans, Jean-Pierre Mocky ne lâche pas sa caméra. A la veille de l’élection présidentielle, le chasseur de vérité prépare deux fictions sur la vie politique française à partir de dossiers bien documentés. Toujours très en verve, le réalisateur nous parle de ses projets avec le réalisme tranchant et l’humour caustique qui font sa marque de fabrique.
Propos recueillis par Corine Moriou
Emmanuel Macron m’a demandé de tourner un clip pour sa campagne. J’ai refusé !
Rendez-vous chez Jean-Pierre Mocky quai Voltaire, à Paris, sur les bords de Seine. L’escalier est jonché de cartons de DVD. Au 4 ème étage, nous grimpons quelques marches pour atteindre le duplex. Escorté de son chien Titi, le réalisateur nous accueille dans son grand salon. Devant nous, un mur couvert d’affiches de cinéma. On y retrouve ses succès comme L’ibis rouge, Le compagnon de la marguerite, Solo… Sur une commode, de nombreux trophées décernés lors de divers festivals : du Festival du film à Agde au Tokyo International Film Festival. Il n’y a pas de petit prix quand on aime le cinéma ! Figure iconoclaste du 7 ème art, il a fait jouer les plus grands comédiens. Ne pas avoir tourné dans un film de Mocky au cours de sa carrière s’apparente « presque » à une faute de goût. C’est d’ailleurs pourquoi il joue dans ses propres films ! Profondément individualiste, esprit libertaire, catalogué « anar incorrigible », Jean-Pierre Mocky séduit, provoque, dérange, car il s’attaque aux grands sujets de notre société comme la presse, l’église, le mariage, la politique.Toujours du côté du marginal, du rebelle, du hors-la-loi, il dénonce les magouilles des puissants, les petits arrangements entre personnes bien placées. S’il flingue, c’est pour la bonne cause. On aime ou on n’aime pas le cinéma de l’acteur-réalisateur-producteur-distributeur. Mais il ne laisse jamais indifférent, notamment lors de ses coups de guelle à la télé qui font le buzz. Si Mocky n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Vous tournez deux à trois films par an. Toujours la passion ?
Si je tourne, c’est surtout pour ne pas m’emmerder ! J’espère réaliser encore une vingtaine de films si Dieu m’accorde encore un peu de rab. J’ai encore deux ou trois choses à dire. Je me considère comme un journaliste du cinéma. Sauf que je le fais en images avec la férocité qui pourrait s’apparenter à celle du Canard Enchaîné ou de Charlie Hebdo.
Vous avez la réputation de tourner des films avec des petits budgets en peu de temps.
Hitchcock m’avait recommandé de tourner des films en 15 jours. A raison de six minutes par jour, cela fait un film de 90 minutes. Godard a adopté cette ligne de conduite. Pas Truffaut. J’ai toujours respecté cette règle. Ainsi, j’ai tourné Agent trouble avec Catherine Deneuve, et bien d’autres, en 16 jours. De toute façon, je n’ai pas le choix. Les producteurs qui ont financé mes succès comme Le Miraculé ou Un drôle de paroissien sont morts. Depuis, je n’ai pas vraiment trouvé de successeurs. Un film avec des moyens, c’est un budget de 500 000 euros auxquels il faut ajouter 500 000 euros pour la distribution.
Vous avez votre propre cinéma Desperado, anciennement Action Ecoles où vous présentez vos films. Un lieu auquel vous tenez ?
Je l’ai baptisé Desperado, car les cinéastes indépendants qui vivent pour le 7 ème art sont des Desperados. Mais le Desperado a toujours de l’espoir ! Je viens de revendre ce cinéma à Isabelle Huppert. Elle en sera la propriétaire en juin prochain. Il est difficile d’intéresser le public avec la seule programmation de mes films. Les gens viennent y voir les classiques du cinéma français et américain. Et puis il manque une scène pour des spectacles donc je préfère me séparer du Desperado après l’avoir exploité depuis 2011. Avant je diffusais mes films au Brady dont j’ai été propriétaire pendant 17 ans. Ce n’est pas si mal…
Comment faites-vous connaître vos films ?
Il est compliqué de passer par les réseaux de distribution des salles de cinéma. Vincent Bolloré achète mes films via Canal +. Quatorze de mes films sont disponibles en VOD sur Canal +. J’ai aussi le soutien d’Arte notamment grâce à Véronique Cayla, Présidente du directoire. A l’occasion de galas, il y a une dizaine projections dans les grandes villes de France. Ces soirées où mes films sont présentés ont toujours beaucoup de succès et les séances affichent complet. Les spectateurs ne boudent pas leur plaisir !
Les journalistes portent un regard très critique sur ce que je fais. Mais ils oublient que je réalise un film avec un petit budget en un temps très court. Il faut comparer ce qui est comparable. Donc je préfère éviter leur contre-publicité. En général, ce sont les jeunes ou les vieux qui aiment mes films. Les autres s’en tiennent aux critiques de Télérama. Et dans les dîners en ville, tout le monde veut parler du même film, celui qui est bien en haut de l’affiche, distribué dans les grandes salles.
Et si l’on loupe ces projections, on peut acquérir vos films en DVD ?
Mon ami Gérard Depardieu a acheté une usine de fabrication de DVD dans les Vosges. Lorsque je sors un film, il est édité dans cette usine, puis vendu 10 euros. Cela me permet de m’en sortir. Si je vends 20 000 DVD, je rembourse le coût du film tourné. C’est notamment le cas du film Le Renard jaune qui cartonne ! Rouges étaient les lilas et Vénéneuses sont à présent disponibles en DVD.
Quels sont vos projets à court terme ?
A partir du 15 mai, je vais tourner Vive Monsieur le maire. On y retrouve un peu l’esprit de Jour de fête de Tati. C’est l’histoire de trois candidats qui briguent une mairie. Etre maire, ce n’est pas toujours rigolo ! Les scènes se dérouleront à Dreux et à Saint-Lô avec des acteurs qui ne sont pas connus. Albéric de Montgolfier, le sénateur d’Eure-et-Loir, a soutenu ce projet. On va faire travailler 1500 figurants, pré-vendre 7000 DVD et il y aura des revenus tirés de la publicité pour le fromage, le cidre et le beurre de la région !
D’autres films cette année ?
Le tir au pigeon devrait être tourné en juillet. Je me suis inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé aux Etats-Unis. C’est l’histoire d’un père qui n’accepte pas que son fils ait été blessé par un flic et se retrouve dans un fauteuil roulant. Il tue toutes les personnes considérées comme étant des salauds.
Un drôle de jardinier, en novembre. C’est un film à plus gros budget avec deux grandes stars, soit Gérard Depardieu, soit Niels Arestrup. Le casting n’est pas encore finalisé. Il faut que les duos puissent se coopter, s’accorder. Nathalie Baye et Daniel Prévost auront aussi des rôles dans ce film. Un jardinier de l’Elysée enlève le Président de la République. C’est une comédie dans le genre de La grande vadrouille. On s’appuie sur la réalité du pouvoir notamment les révélations de Patrick Buisson. Le Président doit dire la vérité aux Français sur le cabinet noir et les dessous des affaires. Julie Gayet était partante pour jouer le rôle de la maîtresse du Président. Mais depuis que François Hollande a annoncé qu’il ne se représenterait pas, elle ne veut plus jouer dans le film.
Le conservatoire est un documentaire pour France 5, bientôt présenté à la SACM, qui retrace mes années au Conservatoire national supérieur d’art dramatique avec Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Annie Girardot et d’autres.
La politique, ça vous intéresse ? Vous suivez la campagne présidentielle ?
Emmanuel Macron m’a demandé de réaliser un clip pour 50 000 euros. J’ai refusé car je ne veux m’associer à lui, à son mouvement. De toute façon, je n’irai pas voter. C’est de la foutaise tous ces hommes politiques.
Vous êtes bien occupé avec le 7 ème art ?
Je m’occupe. Mais je regrette de ne pas avoir une femme à mes côtés. Mon ami Costa Gavras a cette chance. Il a une femme qui prend beaucoup de choses en main, il peut ainsi se consacrer à la création. Il y a 15 millions de femmes seules en France et je n’ai pas trouvé ma muse. Je vais mourir sans jamais avoir connu LA Femme. Et pourtant, j’en ai connu !
Bio express
Né à Nice le 6 juillet 1933 (nom réel Jean-Pierre Mokiejewski)
Réalisateur, scénariste, acteur, producteur, distributeur
A 19 ans, assistant de Visconti et Fellini
1959, son premier film en tant que réalisateur : Les dragueurs avec Anouk Aimée et Charles Aznavour
Plus de 80 films et de nombreux succès : La Grande Lessive, Un drôle de paroissien, A mort l’arbitre, Le miraculé, Y a-t-il un Français dans la salle ?, Solo, la série « Myster Mocky présente »…
Fait tourner Bourvil, Fernandel, Aznavour, Deneuve, Serrault, Lonsdale, Azéma, Birkin, Lavanant, Bohringer et bien d’autres
Biographies : Je vais encore me faire des amis, Le Cherche Midi, 2015
Mocky soit qui mal y pense, Le Cherche Midi, 2016
Site Internet : www.jpierre-mocky.fr