Descendre les gorges de l’Ardèche en canoë est une jolie idée. A condition d’en mesurer les risques et de bien s’y préparer. Vous pourrez alors profiter de cette expérience dans une nature préhistorique et sauvage hors du commun.
Par Corine Moriou
Début août, le soleil cogne sérieusement en Ardèche méridionale. Alors, on aspire à se rafraîchir dans la rivière. Imaginez un canyon sauvage et profond, avec des versants abrupts et boisés où dominent de hautes falaises calcaires. Les gorges de l’Ardèche s’étendent de Vallon-Pont-d’Arc à Saint-Martin-d’Ardèche avec de très beaux points de vue depuis onze belvédères aménagés. Ce cadre unique invite aux jeux d’eaux vives. Rêve exaucé : nous allons descendre la rivière en canoë. Au moins une fois dans notre vie ! Comme le canyoning, c’est une expérience à tenter. On s’en souviendra, on en parlera…. mais on ne recommencera (sans doute) pas. La veille du jour J, nous réservons un canoë auprès de Loulou Bateaux. Rien que le nom, c’est déjà tout un programme. 11heures : arrivée sur le parking du site à Vallon-Pont-d’Arc. Nous déclinons notre identité auprès du loueur, lui assurons que nous savons nager. On ne plaisante pas avec ce sujet. Huit jours plus tôt, une quinqua qui faisait du canoë avec son mari a été projetée sur des rochers lors de la descente d’un rapide. Elle s’est retrouvée la tête sous l’eau et a perdu connaissance. Sortie du coma, elle a été hospitalisée en soins intensifs. Quelques jours plus tard, un jeune homme s’est noyé alors qu’il tentait de regagner à la nage l’autre côté de la rive avec ses copains. Tous les ans, il y a « des accidents ». Ca fait froid dans le dos. On n’a pas l’intention de tourner dans un remake de Délivrance. Vous vous souvenez de cet excellent film des années 70 avec Burt Reynolds et Jon Voight ? Quatre copains vivent l’enfer lors d’une expédition en canoë sur une rivière de Géorgie, aux Etats-Unis.
Debriefing avant la descente des rapides
Petits joueurs, nous optons pour la descente « pépère » de 8 km plutôt que le parcours sportif de 13 km ou le plan aventure de 32 km avec option bivouac le soir. Après tout nous sommes en vacances et nous n’aspirons qu’à un gentil divertissement. Chaussures aquatiques aux pieds, casquette vissée sur la tête, et crème solaire sur le bout du nez, nous sommes parés pour l’aventure. Nous exigeons – comme on nous l’a recommandé – un canoë avec un dossier pour le dos. Nettement plus confortable. Mais on ne s’en rend véritablement compte qu’en fin de journée. Pas de lumbago. Youpi ! Le prestataire regroupe une demi-douzaine de personnes pour un debriefing de cinq minutes. A l’aide d’une carte, il nous aide à repérer notre futur parcours d’une durée de trois heures. A nous de gérer notre temps au mieux. Il nous explique qu’il faut éviter les tourbillons – là où il y a de l’écume – et diriger notre canoë vers les eaux calmes. Puis, il nous gratifie d’un gros bidon étanche dans lequel nous glissons papiers et smartphones. Assez peu esthétique, mais pratique, nous l’arnachons à l’arrière du canoë. « La femme à l’avant, l’homme à l’arrière », nous précise le loueur. Equipés d’un gilet de sauvetage et de pagaies, nous voilà lâchés sur notre coque en plastique. Je pagaie, tu pagaies… Pas toujours en rythme. « Un jeu d’enfants », nous assurait pourtant un Ardéchois du coin. Sur l’eau, ce sont plutôt les 20/40 ans qui sont à la manœuvre. Les seniors semblent peu enclins à ce type de divertissement.
7 000 canoës et des bouchons sur l’eau
En plein été, il peut y avoir 7 000 canoës par jour sur l’eau … avec des bouchons à l’entrée de chaque rapide. Alors patience ! Nous ralentissons, laissons passer plusieurs équipages dont l’assurance laisse supposer que ce sont des habitués. Cool. Les inévitables carambolages de canoës rappellent les voitures auto-tamponneuses des fêtes foraines de notre adolescence. Sauf que nous sommes en milieu naturel, ce n’est pas Disneyland. Il fallait bien que cela nous arrive : nous sommes bloqués par les rochers. Mon coéquipier saute du canoë et le remet dans le bon axe. Et l’on recommence, une fois, deux fois, trois fois. Soudain, notre canoë se prend pour une danseuse : nous faisons des tours et demi-tours que nous ne pouvons contrôler. Pris dans une zone de turbulence, nous descendons la rivière à reculons. Clic Clac : des photographes professionnels installés sur la berge immortalisent la scène. Les photos sont en vente en ville. Qu’on se le dise ! Notre embarcation ne chavire pas. A nouveau, nous faisons face au courant de la rivière; nous voilà rassurés.
Escalade sur la falaise de calcaire
Une enseigne à l’horizon : Lodge Charlemagne du nom du célèbre rapide. C’est la meilleure adresse de la berge, car la plus calme. Vers l’arrivée au Pont-d’Arc se succèdent les snacks des campings. Une toute autre ambiance. Nous accostons sur les rochers, le bidon étanche en guise de sac à main. Ce modeste fast-food s’est donné des allures de lodge avec des fauteuils sous de grands auvents en toile. Un jeune lycéen, qui fait office de serveur l’été, nous raconte son plan de carrière. Trop mignon ! Nous apprécions notre Panini jambon fromage faute d’avoir préparé un pique-nique. Sous nos yeux, c’est le spectacle de casse-cous escaladant la falaise d’en face. Décidément, le goût du risque semble répandu en Ardèche. Les spéléologues aussi se mettent en danger. Alors, on comprend que Jean-Marie Chauvet et ses acolytes soient fiers de leur exploit : ils ont découvert la grotte Chauvet (deux fois plus ancienne que Lascaux) qui ébranla le monde entier. Ornée de peintures remontant à 36 000 ans, une réplique baptisée Chauvet 2 a été réalisée pour la visite afin de ne pas abîmer l’original.
Le Pont-d’Arc, la plus grande arche au monde
Nous reprenons tranquillement notre embarcation. Il nous semble que nous avons apprivoisé la rivière. Un coup de pagaie par ci, un coup de pagaie par là. Bientôt, nous allons vivre le must du parcours : nous passons sous le Pont-d’Arc, l’emblème des Gorges de l’Ardèche, site classé depuis 1982. Curiosité géologique, la roche a été percée naturellement au fil du temps pour laisser passer la rivière … il y a très longtemps. Cette arche spectaculaire qui enjambe la rivière à 54 mètres de hauteur sur 59 mètres de long est répertoriée comme la plus grande qui existe au monde. Pas étonnant que de nombreuses espèces se soient réfugiées dans cette nature préhistorique et sauvage. Avec un peu de chance, on peut apercevoir des castors, loutres, aigles de Bonelli, faucons pèlerins, hirondelles des rochers, vautours, mais aussi des salamandres, lézards, couleuvres et de nombreux poissons. Nous voilà arrivés à destination à Châmes. Il est bientôt 14 heures. Nous avons à peine le temps de faire un dernier plongeon et nager en prenant garde aux innombrables canoës qui déboulent vers nous. Finalement ces trois heures de parcours ont filé très vite. Bonne ambiance dans le bus qui nous rapatrie sur Vallon-Pont-d’Arc. Mais il nous faut porter le masque ! Nous déposons notre matériel (sans caution) à Loulou Bateaux et allons déguster une glace chez Thierry Aigon, le maître artisan glacier, à Vallon-Pont-d’Arc. La récompense de notre exploit du jour !
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