Bernard Giraudeau, sortie de Cher Amour « Ecrire de nouvelles pages »

Marin, acteur, réalisateur, grand voyageur : Bernard Giraudeau a déjà eu plusieurs vies. Depuis 2001, avec la sortie de son premier roman, il nous dévoile un talent supplémentaire : celui d’écrivain. Dans “Cher Amour”, il nous laisse entrevoir sa passion pour le théâtre, son amour des voyages et sa nouvelle vie, révélée par le cancer (juillet 2009)

Cher Amour” est l’histoire de voyages : Cambodge, Philippines, Amérique du Sud, une plongée dans le théâtre et surtout un voyage inattendu, intérieur celui-ci, celui de la maladie. La pudeur, l’humilité, l’amour et la mystérieuse “Madame T”, à qui sont adressés ces récits, sont leurs points communs et Bernard Giraudeau, leur port d’attache.

Ce livre paraît deux ans après votre succès “Les dames de nage”. Ce triomphe a-t-il été vecteur de pression ?

Non, je n’écris pas sous la pression mais quand j’en ai le désir. Depuis longtemps je voulais faire une synthèse des nombreuses notes de voyages accumulées depuis une quinzaine d’années et les adresser à quelqu’un. J’ai voulu écrire la grande lettre d’un homme en voyage à une dame. En commençant, je me suis rendu compte que je voulais un enchaînement de vie. Pour cela, il fallait que je passe par quelque chose de primordial qui m’animait à cette époque, le théâtre. Ensuite, la maladie m’a fait faire le troisième voyage : un voyage immobile.

Ces lettres sont révélatrices…

Ces trois voyages m’ont fait écrire sur ce que devient l’homme, la difficulté d’être soi, d’être dans la note juste, de se recentrer, de trouver un sens à ses actes. Même si on dit qu’on aime voyager juste pour le plaisir, cela n’a pas toujours été le cas pour moi. Je l’ai fait probablement pour fuir et éviter certains voyages intérieurs qui se sont finalement imposés.

Les lettres sont adressées à une mystérieuse “Madame T”. Existe-t-elle ?

Elle n’est pas totalement imaginaire. A la fin du livre, il y a la parabole du peintre qui peint toujours le même visage d’une personne qu’il a cru reconnaître un jour, sans s’apercevoir que ce visage est à côté de lui depuis des années. Lorsqu’il meurt, c’est trop tard…Moi, avant qu’il ne soit trop tard, je savais que je la rencontrerai et je l’ai rencontrée, un peu avant la fin du livre. Ce livre est un hommage à Madame T et à toutes les femmes de mon parcours.

On découvre à quel point vous êtes perfectionniste, notamment au théâtre où le trac vous mord le ventre avant de monter sur scène. A-t-il été difficile d’apposer le point final de votre livre ?

Non, je travaille beaucoup, mais je ne suis pas en souffrance : je ne suis pas obligé de labourer mon champ tous les jours ! J’ai du plaisir à le faire, même lorsque je le relis encore et encore par rapport aux points virgules, au sens des phrases. Mais je n’ai pas de trac du tout, sauf peut-être un peu à la sortie, mais de toute façon tout est déjà écrit…

Vous évoquez votre cancer de façon très pudique, presque suggérée. Vous écrivez “la maladie sans l’amour, c’est déjà la mort”…

Oui, la maladie est un révélateur qui dévoile certaines choses auxquelles on a été aveugle et sourd pendant longtemps, encore plus en amour. Pour les gens malades c’est aussi la découverte d’une autre vie et d’un autre parcours qui n’est peut-être basé que sur l’amour.

Votre livre s’intitule justement “Cher Amour”. Auriez-vous pu choisir un titre sans ce mot ?

Je n’étais pas persuadé du titre. J’avais pensé à “Hors jeu”, “Arrêt de jeu”. Finalement “Cher Amour”, c’est l’amour avec un A majuscule, l’amour de la vie et même l’amour de la maladie, d’une femme, d’un enfant, de l’art, du théâtre et des voyages.

La maladie a changé votre regard sur la vie…

Oui et cela pourrait être le sujet d’un livre entier ! C’est un parcours unique, selon chacun et chaque pathologie. Cela change le regard, la conscience même de vivre. C’est un hymne à l’acceptation sans résignation, avec la volonté d’écrire de nouvelles pages. Mais le but du livre était de montrer qu’il y a eu des voyages polymorphes qui ont été freinés par quelque chose d’autre, par une vérité en soi. La maladie a fait éclore la chose.

Vous racontez votre retour sur la Jeanne d’Arc en tant qu’écrivain de la Marine, 40 ans après y avoir vécu en tant que marin. Est-ce une façon de faire une psychanalyse ?

Je ne l’ai pas pensé comme cela au départ : ça m’amusait, c’était un peu une gloriole d’homme qui n’a pas grandi de revenir en tant que capitaine de frégate, par rapport au mousse que j’avais été. La fouille dans la mémoire et l’analyse se sont imposées. Je n’y ai pas trouvé grand-chose, sinon que tout cela était enfantin. C’était une autre page et vouloir la revivre n’avait pas beaucoup de sens. Mais ça m’a quand même donné envie d’écrire et m’a permis d’avoir un regard sur les jeunes, le rêve, l’avenir proposé ou imposé.

Vous qui êtes un amateur de littérature, quels livres vous accompagnent en voyage ?

Ce sont souvent des livres sur les pays dans lesquels je pars. A une période je voyageais beaucoup avec Conrad, Melville, Stevenson. J’ai aussi lu Monfreid quand je suis passé à Djibouti. Je pense qu’il faut emmener avec soi un livre qui reflète l’état d’esprit dans lequel on souhaiterait être durant le voyage. Par exemple, Coloane au Chili, Mishima au Japon. Pour les personnes qui voyagent en Afrique, je leur conseille Ampate Ba qui a écrit notamment l’Enfant Peul : des livres merveilleux.

Et vous, quels sont vos projets de voyage ?

La maladie m’empêche de partir loin. Je suis au calme, je me suis arrêté dans un port et je regarde les marées…

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