Notre semaine rêvée aux Voiles de Saint-Tropez
Vieux gréements et yachts futuristes parmi les plus beaux au monde participent à des régates spectaculaires. C’est le 20 ème anniversaire des Voiles de Saint-Tropez du 29 septembre au 7 octobre 2018. Propriétaires de bateaux, équipages, visiteurs et Tropéziens vivent une semaine d’exception.
Par Corine Moriou
Samedi 29 septembre
Les Yachts de milliardaires –croqués par le dessinateur Sempé – sont priés d’aller jeter l’ancre un peu plus loin. C’est le seul moment de l’année où l’on découvre le port vide. Mais cette zénitude est de courte durée. Pour cette vingtième édition des Voiles de Saint Tropez – et notre grand bonheur – 300 des plus beaux bateaux classiques et modernes au monde avec leurs 4 000 équipiers investissent le port. Les participants des Régates royales de Cannes, sorte de prologue avant les Voiles avec un grand V, arrivent tranquillement. « C’est la meilleure semaine de l’année, nous souffle un Tropézien. On se croirait en Bretagne, l’esprit sportif et de compétition crée une atmosphère extraordinaire. » Logés dans un joli dupleix design rue Cepoun San Martin – juste à l’arrière de Sénéquier – nous sommes aux premières loges des festivités tant sur mer que sur terre. Le service (table ronde, nappe blanche) et la cuisine (foie gras, pata negra, king crabe, tartare de dorade, gâteau meringué…) sont à la hauteur de la réputation de cette institution. Mieux vaut connaître Marco, le maître des lieux, pour espérer trouver une table en cette période d’affluence.
Dimanche 30 septembre
17 heures : inauguration du Village des Voiles, situé à proximité de la capitainerie entre le vieux et le nouveau port, où journalistes, exposants et personnalités échangent sur fond de tambours et fifres. L’équipe de la Société Nautique de Saint-Tropez (SNST) et son nouveau président, Tony Oller, mettent le cap sur la réussite de cette 20 ème édition. Pas moins de 200 bénévoles participent aux défis logistiques et de sécurité de l’évènement. Jean-Pierre Tuvéri, le maire de Saint-Tropez, offre un apéritif sur le port et nous nous amusons à entamer quelques pas de danse pour suivre l’orchestre mobile du Verdolini Jazz Band. On s’extasie devant les yachts de tradition amarrés comme The Lady Anne qui naviguera avec Tuiga, le vaisseau amiral du Yacht Club de Monaco et Hispania qui fut lancé au siècle dernier par le roi d’Espagne. Les seigneurs des Modernes que l’on a baptisé les Wally, taillés à la fois pour la vitesse sur l’eau et le confort à bord, sont manœuvrés par des équipages de 25 personnes. Avec leurs lignes futuristes et leurs équipements high-tech, ils font le show dans le port. Parmi les tous derniers mis à l’eau, on repère Tango et sa sublime coque noir d’ébène, qui sera particulièrement suivi au milieu d’une flotte d’une quinzaine de Wally. La pression est du côté de Galateia, le vainqueur en titre.
Lundi 1er octobre
Les couche-tard de la veille vont rater cet épisode. A 9 heures, le curé Jean-Paul Goaurin donne sa bénédiction aux voiliers. Mais le mistral s’est invité aux Voiles et, avec plus de 25 nœuds à l’avant du port, les régates ont été annulées. Une décision unanimement appréciée ! Nous en profitons pour interviewer Edith Frilet, à bord de l’Alcyon, un voilier qui a une place de choix, juste en face du restaurant La Petite Plage. Ca tangue et nous avons peine à rester sur le pont. Trois marins – et pas les moindres dont Yves Pajot – arrivent à la rescousse pour tendre les bouts afin que la coque de l’Alcyon ne heurte plus le pont. Edith et son mari Marc Frilet se sont lancés dans une folle aventure : ils ont fait construire la réplique d’un houari de 1871 sur lequel l’arrière-grand-père d’Edith, armateur marseillais, régatait à la fin du XIX ème siècle. Grâce aux minutieuses recherches de toute la famille, l’architecte Gilles Vaton – réticent au départ compte tenu du challenge – et le charpentier de marine Daniel Scotto ont redonné vie à ce bijou. On l’appelle volontiers la mandoline, car sa forme arrondie ressemble à l’instrument de musique. Ses dimensions jouent avec la démesure et en font un voilier unique en son genre sur l’eau de toutes les mers du monde. A la fois large (3,80 mètres), il affiche une coque de 9,35 mètres pour 21 mètres hors tout. Au près, il peut porter 150 mètres carrés de toile pour 5,5 tonnes de déplacement, quasiment pas de lest et aucun winch. Vraiment beau à voir, il ne passe pas inaperçu sur l’eau. C’est l’un des chouchous des guides des compagnies maritimes qui donnent quelques explications aux passagers quand ils le croisent en mer. L’équipage de l’Alcyon est constitué d’amis voileux, car les époux Frilet aiment partager leur passion. Un état d’esprit !
Mardi 2 octobre
C’est un golfe lumineux qui accueille aujourd’hui l’immense et somptueuse flotte des régatiers. Sous un soleil généreux et un grand ciel azur, les trois groupes en lice, Wally devant la plage de Pampelonne, Modernes au large de la plage des Salins et Classiques à l’intérieur du Golfe participent aux courses dans des conditions de rêve. Aujourd’hui, le Trophée Rolex célèbre les yachts dessinés par l’architecte écossais William Fife. Le Jubilé Fife regroupe des unités de 11 à 40 mètres, du joli Nada au géant Cambria. Hormis les voiliers, il faut compter les bateaux spectateurs, du plus standard au plus VIP, qui se chiffrent par centaines. Tout un spectacle sur l’eau. Ce sont les derniers beaux jours de l’été. Alors autant en profiter ! Nous louons un vélo électrique à La Guêpe Mobile pour nous rendre sur les plages du côté de La Moutte et des Canoubiers.
Mercredi 3 octobre
A 11 heures, nous sommes en haut de la Citadelle pour admirer le départ des Modernes, des Wally et des voiliers classiques. Il n’y a pas meilleur point de vue. Notre voisin nous prête son guide Gallimard qui fait une description précise des bateaux qui participent aux Voiles. Un jeu d’enfant pour les passionnés qui s’amusent à les reconnaître… même de loin. C’est aussi la journée des Petites Voiles, une compétition organisée sur Optimist dédiée aux enfants de moins de 12 ans. Cette nouveauté de la 20 édition est destinée à les préparer mentalement à prendre la relève dans quelques années. Petits veinards ! Descente par un chemin escarpé jusqu’à La plage des Graniers en longeant le cimetière marin. Un plongeon dans l’eau – tant pis pour le spectacle offert aux clients du restaurant dont les tables sont dressées en première ligne – puis nous rejoignons nos amis Tropéziens pour déguster le plat du jour, un tartare de loup à 23 euros. Pas si cher Saint-Trop ! Le soleil faiblit. A 18 heures : vernissages dans deux galeries et concours de boules sur la place des Lices.
Jeudi 4 octobre
9h30 : conférence de presse au Lounge de La Capitainerie. Au programme, « Les rencontres de la mobilité durable » à l’initiative de l’association Cinquième élément, présidée par Nathalie Laurent. Mobilité durable rime avec développement durable. A l’honneur tout ce qui bouge, glisse ou vole, notamment les bateaux. L’association bien nommée, en clin d’œil à Luc Besson, vise à créer un Festival du 20 au 24 septembre 2019 – juste avant Les Voiles de Saint-Tropez – qui présentera au grand public les meilleures technologies de la mobilité maritime, mais aussi terrestre et aérienne. A la clé, de nouvelles vocations et des créations d’emplois. Nous rencontrons Patrice de Colmont, l’homme qui créa La Nioulargue en 1981 (l’ancêtre des Voiles) et dirige Le Club 55. Les grandes tablées du restaurant se vident à une heure tardive de l’après-midi. Car Les Voiles, c’est aussi l’occasion de se retrouver entre amis et évoquer le bon vieux temps. Les concurrents de la Club Cup 55 se lancent des défis amicalement alors que les Centenaires du Gstaad Yacht Club partent en course poursuite, le plus gros et rapide devant rattraper le plus petit et lent pour gagner la compétition. Le jeudi soir, tout est permis : c’est le défilé burlesque des équipages déguisés, grimés au départ du Village Les Voiles sillonnant les quais. Le public est ravi. La fête bat son plein. Au Byblos, un cocktail dînatoire réunit journalistes et partenaires des Voiles. L’air est doux et l’on s’attarde volontiers sur la terrasse pour commenter les prouesses de la journée avec nos amis journalistes sportifs bretons et normands.
Vendredi 5 octobre
Petit déjeuner au bord de la piscine de la Bastide de Saint Tropez, un havre de pays sur les hauteurs du village. Ce Relais & Châteaux séduit une clientèle cosmopolite en quête de calme et de beauté. Nouvel embarquement en mer : nous montons sur un Brig, un bateau semi-rigide sur lequel on se sent parfaitement à l’aise. Le pilote vire au plus près des Wally et des Classiques. C’est tout un métier. Nos deux amis photographes se contorsionnent pour faire les plus beaux clichés. A la demande d’Odile Boye Carre, les membres de l’équipage de Viola prennent la pose. C’est vraiment beau à voir… à peine une minute. On repart en trombe pour filmer le combat des titans mené par d’immenses sloops tels My Song (43,90m), Solleone (35,20m), Léopard 3 (30,47m). Le soir, au milieu du port, en fond de quai Jean Jaurès, un écran géant de 17 m2 nous fait revivre les plus grands moments des régates de la journée.
Samedi 6 octobre
Encore quelques jours au cœur de l’été indien. Nous déjeunons à la Plage des Salins, profitons d’un bain de soleil, puis rejoignons des amis pour un apéro dansant sur la terrasse de Moorea Plage, la festive. Mais avec une pointe de tristesse, car plusieurs exploitants d’affaires familiales de Pampelonne sont sur la sellette. Ils doivent quitter les lieux qui vont être livrés aux bulldozers et pelleteuses. A l’occasion du renouvellement des concessions- s’appuyant sur l’indispensable réaménagement pour une mise en conformité avec la loi littorale- la ville de Ramatuelle a fait des choix qui créent la polémique. Des établissements de luxe qui jusqu’ici n’avaient pas pignon sur plage vont bénéficier d’un lopin de sable. Rendez-vous dans quelques mois pour découvrir le « nouveau Pampelonne ». Au large, le yacht baptisé Namasté (ce qui veut dire pour les pratiquants du yoga « Mon âme salut ton âme » ) reste imperturbable.
Dimanche 7 octobre
Remise des prix au Village des Voiles. Un moment d’émotion pour les propriétaires de bateaux, les capitaines au long cours, quelques 4 000 fiers pirates des mers, leurs nombreux supporters et admirateurs. Avec 300 unités de toutes sortes, il n’est pas possible de retenir le nom d’un seul vainqueur comme aux 24 heures du Mans ! Mais n’hésitez pas à jeter un coup d’œil sur le palmarès. A La Bouillabaisse, nous fêtons dignement la fin de l’été et cette semaine d’exception. Bravo à Pascal Ranger pour la cuisine, et à son épouse Sylvie, pour la décoration de ce restaurant de plage qui a fait peau neuve. Il n’y a pas que les bateaux qui font l’actualité de Saint-Trop, ce village de pêcheurs qui n’en finit pas de se renouveler et de nous émerveiller.